Dans le Finistère, comme presque partout en France, des projets de création ou de rénovation de voies vertes font régulièrement l’actualité et la Une de la presse quotidienne régionale, avec parfois quelques débats ou polémiques, sur le revêtement de ces voies vertes et/ou sur l’usage de celles-ci.

Cet article a vocation à essayer de faire le point sur ces questions et de clarifier la position des associations représentant les usagers des voies vertes.

Préambule : rappel de la définition d’une voie verte

(Cf. Cahier des charges du Schéma National Véloroutes et Voies Vertes – Mai 2001)

Les  » voies vertes  » sont des aménagements en site propre réservés aux déplacements non motorisés. Elles sont destinées aux piétons, aux cyclistes, aux rollers, aux personnes à mobilité réduite et, dans certains cas, aux cavaliers, dans le cadre du tourisme, des loisirs et des déplacements de la population locale. Elles doivent être accessibles au plus grand nombre, sans grande exigence physique particulière, sécurisées et jalonnées.

Elles seront conçues de façon à satisfaire, tronçon par tronçon, tous les utilisateurs visés.

(…)

Ce cahier des charges national, co-rédigé en 2001 par 4 ministères et la quasi-totalité des associations représentant les usagers ainsi que les collectivités territoriales, annonçait donc bien les choses : toutes les voies vertes (et a fortiori les véloroutes) ne seront pas systématiquement conçues pour tous les usagers cités, plus particulièrement en ce qui concerne les cavaliers (Voir Note 1).

Le décret et l’arrêté ministériels pris en 2004 et 2008 (décret n° 2004-998 du 16 septembre 2004 et arrêté du 11 juin 2008) sont venus compléter le Code de la Route et préciser la signalisation à mettre en place. (Voir Note 2).

Revêtement

C’est généralement sur ce point que se focalise l’attention, notamment en raison des questions de coûts, d’entretien, mais aussi en raison des différences d’approche des différents usagers –actuels et/ou futurs– et de nombreux « a priori » sur l’impact environnemental (protection de la nature et de la biodiversité́, bilan carbone, altération du paysage, etc.).

Qualité du revêtement :

  • Ce que dit le cahier des charges national sur ce point :

– revêtement : il devra permettre aux usagers de rouler en toute sécurité, même en cas de pluie prolongée ou dans les passages au sol réputé instable, et utilisable toute l’année.

  • Un large consensus existe sur la nécessité de disposer d’un revêtement «dur» et bien roulant, utilisable par tout temps (« même en cas de pluie prolongée», ce qui arrive parfois en Bretagne…) et par tous les usagers, notamment par les cyclistes (tout type de vélo), les trottinettes, les personnes en fauteuil roulant, les poussettes d’enfant, voire les rollers et les skate-boards. Seuls quelques sportifs (notamment joggeurs et randonneurs FFRP) et les cavaliers ne souhaitent pas de revêtement « dur ».
  • Les sondages effectués auprès des usagers des voies vertes (piétons, cyclistes, rollers, personnes à mobilité réduite, cités ci-dessus) montrent que 84 % des usagers préfèrent un revêtement en enrobé ! (Voir Note 3)
  • Une solution existe malgré tout pour répondre aux attentes de la quasi-totalité de ces usagers « anti-enrobé » : réserver une bande stabilisée, herbeuse ou en terre naturelle, sur le côté de la voie verte revêtue.

Durabilité́ / résilience du revêtement (capacité́ à surmonter une altération de son environnement) :

  • La durée de vie moyenne d’un sable stabilisé renforcé est estimée à 15 ans ; celle d’un enrobé à liant bitumineux à 30 ans
  • Face à l’eau (crues ou grandes marées), les revêtements avec liant hydraulique ne sont pas conseillés (risque d’arrachement lorsque l’eau se retire). Leur durée de vie n’excède alors guère 10 ans.
  • Si le stabilisé renforcé est malgré́ tout imposé, le stabilisé avec liant hyper pouzzolanique sera le plus résistant.

Coût :

  • Le stabilisé sans liant est le moins cher en investissement : environ 5 € au m2
  • Mais le stabilisé avec liant hydraulique ou pouzzolanique a un coût équivalent à l’enrobé : 10 à 15 € au m2 (15 à 20 € au m2 pour un enrobé coulé à froid)
  • Si l’on tient compte de l’entretien, l’enrobé est, de loin, le plus économique : 3,4 k€/an/km (vs 6,3 k€/an/km pour le stabilisé avec liant pouzzolanique)
  • Des liants organo-minéraux, à haute qualité environnementale sont disponibles. Ce type de liant, non bitumineux, se met en œuvre à température ambiante. Par exemple, le liant Aqualiant© développé par Colas, se retrouve dans les revêtements Urbalith© et Minéralith©. Ces revêtements seraient adaptés pour les chaussées à faible trafic (inférieur à 1500 véhicules par jour). Ils se sont vus décerner le label « innocuité environnementale » par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) qui les désigne comme des solutions adaptées aux zones à enjeux environnementaux. Coût à déterminer…

Couleur du revêtement :

  • L’enrobé bitumineux donne, de base, une coloration noire au revêtement qui peut créer une analogie routière dans certains espaces (un peu contradictoire avec la notion de «voie verte») mais :
    1. après quelques mois, la coloration change, le revêtement prenant une coloration plus grisée ou brune, selon l’environnement
    2. il est possible de mettre en place un revêtement d’une autre couleur, qui permettra alors de favoriser son intégration paysagère.
    3. les liants de synthèse permettent de garder l’aspect naturel des granulats, s’ils sont translucides, ou de proposer des teintes colorées, par l’ajout de pigments. Ils ne contiennent pas d’asphaltènes (molécules responsables de la couleur noire).
    4. il est également possible de réaliser un hydro-décapage du bitume après sa pose, afin de faire apparaître la couleur du granulat utilisé.
  • les stabilisés avec liant pouzzolanique présentent également un aspect visuel proche de celui du béton bitumineux.

Bilan carbone

  • Le bilan carbone est plus favorable à l’enrobé.

Les émissions de gaz à effet de serre, la quantité d’eau et de ressources naturelles requises lors de la fabrication et la mise en œuvre des stabilisés sont, en moyenne, plus importantes que pour les enrobés selon une étude menée par le Cerema (Cf. Économie circulaire des matériaux et ouvrages du BTP – L’analyse de cycle de vie appliquée aux infrastructures de transport – Cerema, 2019. Collection : Références. ISBN : 978-2-37180-385-5). Les revêtements à liants hydrauliques consomment énormément d’énergie lors de leur fabrication, notamment lors de celle de la chaux et du ciment. Par ailleurs, l’enrobé présente un avantage de durabilité dans le temps.

Tableau extrait de la Fiche action n°9 – REVÊTEMENTS DES AMÉNAGEMENTS CYCLABLES – Vélos & Territoires – 2019

 Report modal

En outre, un revêtement roulant et confortable est de nature à favoriser un meilleur report modal vers le vélo.

En effet, il s’avère difficile et inconfortable voire impossible de circuler à vélo sur une voie en stabilisé, même renforcé, après un épisode pluvieux (comme il s’en produit parfois en Bretagne…). Si la voie est inondée, ou fortement imbibée d’eau, les usagers doivent subir de nombreuses projections d’eau, mélangée à du sable (+ de la chaux ou du ciment si le stabilisé est renforcé), nécessitant un nettoyage des vêtements et provoquant une dégradation des parties mécaniques des vélos (roues, roulements, pédaliers, pignons, dérailleurs, etc.). La voie devient alors impropre à un usage quotidien à vélo (ou rollers ou trottinettes, …). Même par temps sec, les voies réalisées en stabilisé génèrent des poussières (sable fin, ciment ou chaux…).

L’analyse des fréquentations montre que, pour deux aménagements cyclables comparables, dont l’un est revêtu et l’autre pas, le nombre de passage varie d’un facteur de 5 à 10 !

Ainsi à Chambéry, une piste existante en stabilisé a été doublée par une piste en enrobé sur une longueur de 5 km. Le trafic s’est intégralement reporté sur la piste en enrobé et la fréquentation a été multipliée par 5.

Le bilan carbone de la conception des aménagements cyclables en enrobé doit donc être mis en regard des économies d’énergie réalisées grâce à une mobilité dé-carbonée à vélo.

Conclusion :

Compte tenu du bilan carbone, de l’absence de relargage de produits chimiques, de la durabilité et du coût, nous recommandons fortement la pose d’un enrobé sur les voies vertes du Finistère.

Pour tenir compte de la sensibilité parfois exprimée concernant l’intégration environnementale (aspect trop « routier » du bitume), nous recommandons un enrobé coloré, beige ou brun.

L’association France Nature Environnement (FNE) et l’Association Française pour le développement des Véloroutes et Voies Vertes (AF3V) ont mis en place un groupe de travail sur la question du revêtement des voies vertes. (Voir bibliographie).

Elles sont arrivées à la même conclusion quant à la préférence qui devrait être accordée à l’enrobé. La seule exception à ce principe concerne les voies vertes en milieu sensible et protégé, où il convient d’éviter une trop forte fréquentation.

Recommandation FNE / AF3V :

Il faut clairement revendiquer le fait qu’aménager une VV est une action essentielle au report modal qui contribue à abaisser l’émission de GES ; MAIS cette action soustrait aussi des espaces de biodiversité́ qu’il faut donc compenser !

Séparation des différents usages

Afin de donner satisfaction à la fois aux cyclistes (et autres usagers demandeurs d’un revêtement dur et roulant par tout temps) et aux randonneurs pédestres (et joggeurs, cavaliers, …), il est possible d’envisager de ne revêtir d’enrobé qu’une partie de la voie, sur 2,50 m environ (3 m si possible), en aménageant l’autre partie, sur 1 à 2 m lorsque l’emprise le permet, soit en terre naturelle (maintien et utilisation des matériaux en place), soit avec stabilisé renforcé, comme la plupart des sentes piétonnières ou cavalières.

Sur les sections autorisées et régulièrement empruntées par des cavaliers, une séparation physique est recommandée entre la voie verte et la bande réervée aux cavaliers : barrières, potelets, ou haie végétale.

Notre avis :

Nous considérons les cavaliers comme bienvenus sur les VV de Bretagne, mais le partage confortable de ces voies nécessite une séparation entre les cavaliers et les autres usagers, ainsi que la mise en place d’un code de bonne conduite. La présence des cavaliers ne doit pas nuire au confort et à la sécurité des autres usagers, notamment aux personnes à mobilité réduite (personnes âgées, familles avec jeunes enfants, personnes en fauteuils roulants, etc.).


Note 1

Les raisons conduisant les collectivités territoriales à exclure les chevaux sur certaines voies vertes sont multiples :

  • un cheval pèse de 300 kg à une tonne hors attelage et cavalier ou passagers (vs 7 à 25 kg pour un vélo ), ce qui peut générer une dégradation plus rapide du revêtement ;
  • la cohabitation entre les chevaux et les autres usagers peut poser des problèmes de sécurité, tant pour les cavaliers que pour les joggeurs, rollers ou cyclistes, notamment lorsque ces derniers arrivent par l’arrière du cheval, surprenant celui-ci ;
  • un cheval produit des déjections qui échappent généralement à tout contrôle de son meneur et ne faisant pas bon ménage avec les autres usagers (surtout familles, poussettes, rollers, trottinettes, fauteuils roulants, etc.) ; la circulation des cavaliers devrait être conditionnée à l’emport obligatoire de systèmes de récupération des déjections, de type sacs à crottins ;
  • le potentiel de développement du vélo (et de la marche à pied) pour les trajets quotidiens est bien connu et chiffré, à l’inverse de celui du cheval qui n’a actuellement plus qu’un usage de loisirs (même si l’on peut se féliciter de quelques beaux retours du cheval de trait pour des usages agricoles ou pour de travaux de voirie, de fauchage, ou de ramassage d’ordures, …). Un développement des déplacements quotidiens à cheval ne semble à ce jour envisagé par aucune collectivité, la possession d’un cheval nécessitant généralement un foncier conséquent et/ou des coûts importants (terrains de pâturage, aliments, bâtiments, soins vétérinaires), hors de portée de la majorité des habitants du territoire. Si un développement de la traction animale peut être souhaité (au détriment de l’automobile, comme on le voit dans certains pays, comme Cuba), c’est sur le réseau routier secondaire qu’elle trouvera sa place.

Note 2

– voie verte : route exclusivement réservée à la circulation des véhicules non motorisés, des piétons et des cavaliers ;

  • L’arrêté du 11 juin 2008 a introduit un article 75-5 à l’Instruction Interministérielle sur la Signalisation Routière, avec la création d’un panneau C115 (entrée de voie verte) et C116 (fin de voie verte) et d’un panonceau M4y lorsque la voie verte est autorisée aux cavaliers.
Art. 75-5. - Voie verte - voie réservée à la circulation des piétons et des véhicules non motorisés.
    • La signalisation des voies vertes et des voies réservées à la circulation des piétons et des véhicules non motorisés est obligatoire. Elle doit être assurée au moyen du panneau C 115.

Lorsque l’autorité de police compétente décide également d’y autoriser la circulation des cavaliers, le panneau est complété par le panonceau M4y désignant les cavaliers. Lorsque l’autorité de police compétente décide d’autoriser par exception la circulation de certains véhicules à moteur sur une voie réservée à la circulation des piétons et des véhicules non motorisés, le panneau est complété par le panonceau M9z avec la mention adaptée. Il doit être exclusivement implanté en signalisation de position.

    • La signalisation de fin des voies vertes et des voies réservées à la circulation des piétons et des véhicules non motorisés est obligatoire. Elle doit être assurée au moyen du panneau C 116.
      • Il doit être implanté en signalisation de position.
      • Il ne doit pas être complété par un panonceau.
      • Il peut être implanté en présignalisation.
      • Il doit alors être complété par un panonceau de distance M1.

A l’annexe n° 1 : « Signalisation d’indication », ajouter les deux panneaux C 115 et C 116.

Conclusion : En l’absence du panonceau M4y désignant les cavaliers, les voies vertes leur sont donc interdites.


Note 3 :

Préférence de revêtement des usagers en fonction des pratiques

Région Bourgogne / Guide pratique des véloroutes et voies vertes / 3ème partie – Les caractéristiques techniques de la voie.

Une voie au revêtement fragile en stabilisé (cf. ci-dessus &Bilan carbone/report modal) ne convient pas à la plupart des usagers potentiels d’une voie verte :

  • Les cyclistes du quotidien (ceux qui empruntent la voie tous les jours, quelle que soit la météo) pour se rendre au travail, à l’école, au collège, au lycée, ou faire ses courses ou accomplir des démarches administratives, etc.
  • Les cyclistes en itinérance (vélos chargés, parfois avec remorques), en randonnée, ou en balade,
  • Les rollers, car les petites roues de leurs patins ne tolèrent pas de terrain meuble,
  • Les usagers de la trottinette, pour les mêmes raisons,
  • Les personnes à mobilité réduite, notamment celles circulant en fauteuil roulant, pour des raisons évidentes de sécurité et de confort, voire d’hygiène en ce qui concerne les fauteuils roulants mus à la force des bras,
  • Les familles, notamment celles avec poussettes d’enfants, ou les simples « promeneurs du dimanche » qui n’emmènent pas enfants ou personnes âgées sur un terrain insuffisamment stable ou exempt de passages boueux.

Et les autres ? Qui sont-ils ?

  • Les vététistes, mais ils n’utilisent les voies vertes que pour rejoindre des itinéraires plus sportifs et accidentés.
  • Les randonneurs pédestres, mais ils sont plutôt adeptes des sentiers de randonnée où seuls les marcheurs peuvent accéder (comme le GR34 / sentier des douaniers).
    • Nota : le seul critère d’exclusion –pour l’inscription d’un itinéraire de randonnée pédestre au PDIPR– concerne un taux maximum de 30% sur voies ouvertes à la circulation automobile. Les voies vertes ne sont donc pas concernées.
  • Les joggeurs, mais beaucoup préfèrent maintenant souvent un revêtement de type enrobé du fait des progrès techniques réalisés dans les chaussures de course à pied (la plupart des grands marathons se courent d’ailleurs en milieu urbain).
  • Les cavaliers, mais cette pratique reste limitée à un usage touristique que l’on ne rencontre généralement qu’aux abords des centres équestres. Lorsque cette pratique est autorisée sur les voies vertes, seule l’allure du pas garantit la pérennité du revêtement (galop et trot ne devraient pas être autorisés).

Bibliographie

 

 

Exemple de la Voie Verte de l’Avesnois

Un revêtement adapté au plus grand nombre.

La voie verte de l’Avesnois a été réalisée en 2007 sur le site d’une ancienne voie ferrée. Réalisée en « stabilisé », c’est à dire avec un sable qui intègre un liant qui se répand progressivement dans la nature, celle-ci s’est très vite dégradée et est devenue inutilisable pour beaucoup. Le département du nord a décidé de rénover cette voie verte d’une longueur de 30 km :

    • sur 2,5 m pour un enrobé lisse, non glissant, résistant à la pluie et au gel, durable et respectueux de l’environnement. L’enrobé choisi accueillera promeneurs, vélos, poussettes, rollers, fauteuils roulants toute l’année. Il sera facile d’entretien et beaucoup plus durable.
    • sur 2 m en espace enherbé pour l’utilisation équestre, canicross, VTT… et l’usage pédestre (pour ceux qui préfèrent ne pas marcher sur l’enrobé).

La voie verte de l’Avesnois, d’une longueur de 30 km fait partie de l’EuroVelo 3, itinéraire cyclable européen de 5 122 km qui relie Trondheim à Saint-Jacques-de-Compostelle. L’itinéraire traverse ainsi l’Europe du nord au sud-ouest en passant successivement par sept pays, de la Norvège à l’Espagne. La voie verte de l’Avesnois appartient aussi au réseau national des véloroutes et voies vertes. L’EuroVelo 3, qui porte le nom de Scandibérique en France arrive à Maubeuge par la vallée de la Sambre et son canal puis traverse l’Avesnois et la Thiérache,

En outre, la voie verte de l’Avesnois constitue un élément essentiel du schéma directeur cyclable départemental et figure aussi au schéma régional des véloroutes et voies vertes.